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nadia khouri-dagher, reporter
1 juillet 2006

Libérées

L

LIBEREES

                                                               Pour Michel de Breteuil, qui a "libéré"' des millions de femmes!

En France nous découvrîmes le féminisme. Nos premières années en France furent aussi celles qui suivirent l'explosion de mai 68, les revendications du MLF, les combats pour la contraception et pour l'égalité des sexes. Marie-Claire publiait un supplément à chaque numéro sur les luttes des femmes dans le monde entier, ELLE relayait les combats de Gisèle Halimi et pour les droits des femmes, et nous qui étions quatre filles plus une maman à la maison, nous suivions tout cela avec le plus grand intérêt. Le féminisme nous apparaissait comme l'une des formes les plus avancées de la modernité, que nous étions en famille précisément ici en France venus chercher!

Ma mère fut immédiatement conquise par cette nouvelle doctrine, qui correspondait si bien à son caractère entreprenant, insoumis – et moderne. "Pourquoi est-ce que je devrais éplucher les pommes de terre pendant que mon mari épluche Le Monde?" avait un jour dit à ma mère la voisine du rez-de-chaussée, Madame Bouldieu, jeune maman diplômée de Sciences-Pô, dont le mari était ingénieur, et le couple laissait parfois ses trois jeunes enfants que je devais alors baby-sitter, pour partir en week-end faire de la voile à La Trinité, preuve indéniable pour nous de leur immense modernité: un couple libéré! Et la phrase de Mme Bouldieu était devenue la nouvelle profession de foi féministe de ma mère.

Femmes libérées : c'est sur ce chapitre que les idéologues d'un certain Orient aujourd'hui prétendent s'opposer à l'Occident. Mais ces apôtres d'intégrismes nouveaux, qui brandissent la Tradition comme référence unique, connaissent bien mal leur propre Histoire. L'histoire de Khadija, première femme du Prophète, marchande et femme d'affaires, qui choisit elle-même son mari si pieux, bien plus jeune qu'elle, et qui l'entretint tout leur vie conjugale durant, soit. L'histoire des femmes des premiers temps de l'Islam, poétesses  musiciennes écrivains chefs d'Etat même, femmes aussi respectées que des hommes en leur temps*. Ces apôtres d'un passé fantasmé connaissent bien mal l'anthropologie aussi, car dans les sociétés musulmanes traditionnelles, qui étaient villageoises, les femmes avaient bien plus de pouvoir qu'aujourd'hui dans certains milieux urbains qui se disent modernes : les femmes avaient le pouvoir domestique, le pouvoir de décider de tout au sein des maisonnées, de sceller les alliances entre clans par le choix des mariages, de décider de la vie des mâles aussi – à commencer par celle de leurs fils.

Femmes libérées: est-elle libérée, la mère de famille en France qui part travailler toute la journée, et rentre le soir harassée pour s'occuper de ses enfants, d'un mari qui, les statistiques le prouvent, participe bien moins qu'elle aux tâches ménagères, ou, pire, pour tout faire toute seule, lorsque l'homme est absent?  "Etre une femme libérée, tu sais c'est pas si facile", chante une chanson française...

Femmes libérées: sont-elles soumises et dominées, correspondent-elles à l'imaginaire forgée par l'Occident de la femme cloîtrée, contrôlée, ces musulmanes voilées qui sont championne de boxe au Maroc, chercheur en biologie à l'Université du Caire, chirurgien à l'hôpital de Amman, docteur en théologie coranique à Hambourg, collégienne libertine de Casablanca, prostituée sur les trottoirs d'Alger, ou …?

Femmes libérées: là comme pour le reste, ne pas se fier aux apparences.


*  Gabriel Camps, L'Afrique du Nord au féminin, Perrin, 1992; Fatima Mernissi, Sultanes oubliées. Femmes chefs d'Etat en Islam, Albin Michel, 1990.

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