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nadia khouri-dagher, reporter
1 juillet 2006

Loukoums

L

Loukoums

Retour abécédaire


"We like sweets because we are sweet people", m'avait dit un jour un guide touristique au Rajasthan, alors que je découvrais, dans cette Inde du Nord où je pensais être dépaysée, mais qui est musulmane aussi, les mêmes grandes pâtisseries que dans les villes d'Orient, où se pressait la foule jour et nuit.

Car dans mon Orient aussi, les sucreries sont un aliment très valorisé, et les pâtisseries des lieux importants dans la vie urbaine et sociale, l'équivalent des cafés à Paris: fréquentés par tous, riches et pauvres, hommes et femmes, jeunes et vieux, et à tous moments de la journée. Dans les noces au Maghreb, plus grande fête sociale, ce sont des monceaux de pâtisseries en piles que l'on prépare et offre aux invités, et non de grands banquets. Au Moyen-Orient, quand vous êtes en visite, toujours on vous tend une assiette de bonbons ou de chocolat, alors qu'en Europe on vous offre plutôt une boisson - je t'offre un café? je vous offre un petit verre? Les loukoums sont le symbole presque parfait de la Turquie et de l'Empire ottoman dans bien des esprits d'Occident, symbole d'une certaine douceur de vivre dans l'Istanbul des sultans –délices de Capoue version Orient. A l'occasion des fêtes religieuses en Orient, qu'elles soient musulmanes chrétiennes ou juives, ce sont des gâteaux qu'on échange entre amis et entre voisins: les sucreries, instrument du lien social dans tout l'Orient, du Maroc au Levant – et jusqu'au Rajasthan.

En Italie, l'on voit souvent deux hommes d'affaires attablés dans un salon de thé autour de pâtisseries – scène incongrue à Paris. En Espagne, deux hommes dégustant des glaces à la terrasse d'un café ne sont pas scène rare. En France, les hommes sont autorisés à se délecter d'un vin fin, d'un bon plat, mais les pâtisseries et salons de thé sont réservés aux femmes, comme si l'amour des choses sucrées n'était pas une vertu masculine en Occident.

Découvrant Avignon la première fois, j'y ai trouvé une immense pâtisserie sur la grand'place, ouverte sur la ville de tous les côtés comme dans mes villes d'Orient, avec une foule de gens qui entrait et sortait, et ceci seul, plus que les lauriers roses, la douceur de l'air, et les paysages de vignes alentour, m'a fait comprendre qu'Avignon est ville du Sud, ville de Méditerranée. Ce n'était pas la file d'attente chez Berthillon sur l'Ile-Saint-Louis ou chez Mulot à Saint-Germain-des-Prés, ligne sage de gens qui attendent d'être servis: non, c'était le va-et-vient et la foule composite qu'on trouve chez les glaciers de La Marsa en Tunisie, dans les salons de thé ouverts sur la rue de Casablanca, ou les pâtisseries orientales de Kasr el Nil au Caire. Villes du Sud où la sociabilité est surtout en plein air, où l'on vit tard la nuit, où l'on sort pour un rien, prendre une glace, un jus de fruit, une pâtisserie.

Les sucreries, c'est, comme on dit ici, la cerise sur le gâteau: ce qui donne du goût à la vie. Le goût des sucreries, qui est plus prononcé chez nous, gens du Sud, c'est notre manière d'exprimer notre goût prononcé pour le plaisir de vivre, et pour la convivialité.

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