Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
nadia khouri-dagher, reporter
1 juillet 2006

Passeport

P

PASSEPORT

Je suis venue à la Mairie pour faire renouveler mon passeport, et j'attends.

Je suis Française de passeport, et je me pose la question: est-ce que je me sens appartenir à ce groupe d'hommes, de femmes et d'enfants, qui comme moi attendent dans la salle? Davantage qu'à la foule des trottoirs de Beyrouth ou du Caire, car j'ai aussi les deux autres passeports, d'Egypte par ma naissance et mon histoire familiale, et du Liban par mon sang?

Parmi le public qui attend, j'observe :

    - un garçonnet blond, les cheveux raides coupés au bol, en bermuda bleu marine et chaussures de cuir de la même couleur, à côté de sa maman, coiffée et habillée presque pareil, comme souvent dans les milieux bcbg en France, maman habillée comme ses enfants, sage et disciplinée, ce que jamais on ne verrait en Orient, où les femmes même mères toujours leur féminité aiment cultiver affirmer exprimer;
    - une jeune femme, l'allure dynamique, cheveux bruns et lisses, en pantalon et sac à dos élégant, rieuse et détendue en répondant sur son portable, quand en Orient me semble-t-il une femme jeune en public toujours plus réservée doit se montrer, plongée dans un livre une revue ou ayant l'air de s'ennuyer – obligée d'avoir l'air plus vertueuse que sympathique ce qui est bien dommage me semble-t-il;
    - un homme, cheveux noirs mi-longs gominés, favoris travaillés, blouson de cuir noir, rocker latino en entier, qui ose s'habiller comme il veut, sortir de la norme s'affirmer mais en Orient dans la rue il ne pourrait faire un pas sans qu'on lui dise: tu as l'air déguisé;
    - une femme et son enfant dans les bras, la peau brune et l'origine incertaine pour moi, Maurice Madagascar les Antilles peut-être, Française ancienne ou nouvelle je ne sais mais Française en tout cas.

L'une des fonctionnaires, dans ce bureau de l'état-civil qui est un service de police nationale, est d'origine asiatique, une autre vient d'Afrique, en plus de cette femme à l'enfant, et de moi-même, d'origine étrangère, attendant mon passeport français mais aussi européen désormais, parmi tous ces autres Français dans la salle de mairie et dont certains sont peut-être d'origine belge italienne espagnole ou que sais-je.

Et soudain la réponse à ma question est là, dans cette évidence: car jamais on ne verra un Marocain – un homme d'origine marocaine - fonctionnaire de police en Egypte, un journaliste télé d'origine algérienne en Jordanie, ou un adjoint au maire d'origine syrienne en Tunisie, malgré tous les discours sur l'unité arabe, l'amitié des peuples, la langue commune, l'arabo-islamisme qui nous réunit tous etcetera etcetera. Et encore moins, dans aucun de ces pays arabes, un ministre d'origine grecque, un haut fonctionnaire d'origine italienne, ou un maire d'origine maltaise, pour prendre des peuples de Méditerranée qui comptaient jadis dans ces pays de fortes communautés.

La France brasse accueille et adopte les peuples du monde entier comme aucun pays arabe à ce jour ne le fait, l'Europe accueille les étrangers comme aucun pays de la région arabe n'accueille les autres Arabes ou les Occidentaux, et pour cette seule ouverture des frontières des esprits des cœurs qui se traduit sous mes yeux aujourd'hui par l'ouverture des administrations des jobs de la nationalité aux hommes et femmes venus d'ailleurs comme moi, je me sens totalement française dans ma Mairie aujourd'hui. Avec humour, le romancier Waciny Laredj dans un roman admirait les Hollandais, "si bons musulmans d'accueillir ainsi autant d'étrangers" –  dont lui-même notamment *.

Sur Radio Tunis jadis, chaîne nationale, j'avais pu autrefois décrocher la réalisation d'une émission hebdomadaire, avoir une heure d'antenne en direct, parler aux auditeurs, les distraire les informer. Mais mon nom de famille, levantin d'évidence, avait été par la hiérarchie gommée: pour tous les auditeurs je devais être tout simplement Nadia, m'avait-on sommé, réduction de mon identité professionnelle de journaliste à mon seul prénom qui m'avait humiliée, un prénom seul comme une chanteuse arabe de variétés comme un enfant invité sur un plateau télé, mais Nadia pouvait faire tunisien, il ne fallait surtout pas que la radio nationale ait l'air d'avoir engagé une étrangère en ses terres. Et je devais m'estimer heureuse, car mon amie Edith, libanaise comme moi mais de mère française, journaliste radio bien plus confirmée même, mariée à un Tunisien en outre donc plus locale que moi, s'était vue imposer le changement de son prénom occidental si elle voulait travailler sur les ondes nationales - ce qu'elle avait refusé.

Et je n'oublie pas qu'il y a plus de 30 ans, c'est d'avoir des ancêtres étrangers, non musulmans de surcroît, c'est-à-dire ne partageant pas la religion du plus grand nombre, qui nous fit quitter le pays où mes parents étaient nés, où moi-même je suis née, l'Egypte où mes grands-parents et parfois mes arrières grands-parents avaient choisi de vivre, dans un Empire ottoman alors ouvert à toutes les migrations tous les désirs d'ailleurs et puis d'enracinement. Je n'oublie pas que c'est le nationalisme nassérien qui a contraint mes parents à nous donner, à mes sœurs et moi, des prénoms arabes, quand mes parents avaient reçu des prénoms chrétiens, nous avons des prénoms de planqués comme les Juifs en Europe autrefois durent parfois aussi changer leurs prénoms ou leurs noms de famille pour se fondre dans la masse se faire oublier ne pas se faire remarquer, affirmation pareillement impossible de sa foi de son appartenance de sa fierté d'exister. Liberté niée, car la première des libertés est d'appeler ses enfants comme on veut.  De garder son prénom. Ou son nom. Identité niée, car l'identité commence par le nom, comme me le rappelle la fiche d'Etat-civil que je dois remplir en attendant mon tour: "Identité: Nom, Prénom,…".

"En France personne ne me demande d'où je viens", répond simplement mon père quand des amis lui demandent encore lequel des trois pays il préfère, des trois où il a vécu: l'Egypte, le Liban, ou la France. Je sais que dans son cœur c'est l'Egypte de sa jeunesse, l'Alexandrie de ses années d'entrée dans la vie, qu'il vénère. Mais sa raison lui fait aimer, ou remercier, un pays qui a su accueillir l'étranger qu'il était, avec sa famille, et offrir à ses quatre filles "un avenir", comme il disait quand nous sommes arrivés, et qui sont aujourd'hui nos présents.


*  Waciny Laredj, Les balcons de la mer du Nord, Sindbad/Actes Sud, 2003.

Retour abécédaire

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Madame,<br /> <br /> <br /> "La France brasse accueille et adopte les peuples du monde entier comme aucun pays arabe à ce jour ne le fait, l'Europe accueille les étrangers comme aucun pays de la région arabe n'accueille les autres Arabes ou les Occidentaux, et pour cette seule ouverture des frontières des esprits des cœurs qui se traduit sous mes yeux aujourd'hui par l'ouverture des administrations des jobs de la nationalité aux hommes et femmes venus d'ailleurs comme moi, je me sens totalement française dans ma Mairie aujourd'hui. "<br /> <br /> Je suis tout simplement stupéfaite, vivons-nous dans le même pays? il y a des chances, ce livre a-t-il pour but de servir de vitrine à une nouvelle association ?<br /> Je ne vous connais pas cela est une certitude, mais si vous faites partie de cette partie de libanais ou d'origine libanaise( je dis bien partie) plutôt aisés, plutôt bien éduqués étant au final totalement déconnectés de l'ensemble de la majeure partie population comme l'élite française peut s'avérer l'être, je peux alors commencer à comprendre vos propos.<br /> Non tout n'est pas noir mais les choses sont loin d'être aussi faciles et roses que vous les décrivez.<br /> En France il y a beaucoup à faire, et les Pays-Bas pays que je connais un peu, pour y avoir des amis,parce que j'en parle assez bien la langue entre autres, eh bien coyez-moi, ils se réveillent. Cette fausse image véhiculée par des touristes, revenant d'Amsterdam ou du sud , et faisant l'apologie de l'extrême tolérance non pas des Amstellodamois mais des Hollandais dans leur ensemble ,est totalement dé-con-cer-tan-te d'ignorance!!!!<br /> Cela étant dit nous avons chacun notre vision des choseset peut être que le monde est tel que vous le décrivez je dois certainement être aveugle. Et je peux vous assurer que j'aurais souhaité voir la France que vous décrivez mais hélas nous ne vivons pas les mêmes réalités.<br /> Par ailleur il est très intéressant que vous hébergiez votre blog sur "Afrikblog"!<br /> Enfin,au regard de l'extrait que j'ai choisi pour débuter mon message je considère tout simplement la chose suivante: il est intéressant de comparer des situations équivalentes afin d'en tirer une analyse pertinente.<br /> Je vous imagine débordée, mais je vous assure qu'une réaction à mon message serait extrêmement enrichissant en ce qui me concerne. <br /> En effet je n'ai pas du tout la prétention d'avoir le bagage culturel que vous semblez posséder, mais certains de vos mots me sont apparus si injustes, je ne pouvais pas rester silencieuse, certains de vos mots m'ont paru à certains égards insoutenables.<br /> Je vous remercie pour l'attention que vous aurez porté à ces mots aussi désagréables puissent-ils être pour vous, le but de ce message soyez-en convaincue n'est pas une intention de polémique mais de compréhension.<br /> Sincères salutations,<br /> Catherine
Publicité