S

SENTIR

                                                                                        Pour Céline Sachs-Jeantet

Un pays, pour un émigrant, ce sont, avant même les paysages ou les lieux familiers quittés, des parfums et des senteurs. Retrouver l’Orient, à 20 ans, ce fut pour moi avant tout retrouver l’odeur du café turc que l’on grille jusqu’à le brûler et parfumé de cardamome, l’odeur des trottoirs que l’on arrose en été pour la fraîcheur, l’odeur de la lessive qui bout dans d’énormes bassines, par exemple. Senteurs et odeurs que je retrouvais avec un bonheur fou, presque étonnée de les retrouver inchangées, après tant d’années.

Dans un journal tunisien, un article racontait le retour au pays d’un ancien dissident après vingt ans d’exil. L’homme parlait du plaisir de retrouver le parfum du jasmin, que l'on vend en été en petits bouquets et qui signent le pays, il appelait cela, et le journal en avait fait sa Une : l’odeur du pays - riht el blad.

Pareillement, vivant au Caire ou à Tunis, lorsque je revenais en France, pour quelques jours ou un mois, je retrouvais avec bonheur des parfums qui m’étaient désormais devenus familiers : le  parfum des feuilles d’automne sur la terre humide dans une forêt de chênes ; l’odeur unique des boulangeries françaises, de pain chaud et de brioche, que ne dégage aucune boulangerie «française» dans aucun autre pays ; l’odeur des cafés parisiens, mélange de café, de tabac, de gruyère fondu et de vin ; et même l’odeur du métro, pourtant guère plaisante.

Aujourd’hui, en cette journée d’automne, Paris sent l’hiver : odeur de froid, odeur-de-Paris-l’hiver. Je sais que je suis devenue française par mon attachement à ces parfums de France, même les parfums hivernaux, moi qui aime le Sud la Méditerranée et l’été : l’odeur du café du matin dans les cages d’escaliers des immeubles parisiens, l’odeur du bois qui brûle dans les cheminées dans les villages en hiver, l’odeur de l'herbe fraîche à la campagne. Parfums que je connais – et reconnais – par cœur. Parfums d'un pays, que je me suis appropriés.

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