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nadia khouri-dagher, reporter
1 juillet 2006

Renoir

R

RENOIR

Renoir_1

Au Musée d'Orsay, je retourne voir les tableaux de Renoir, de bals en plein air, de couples enlacés dansant amoureusement, et de tablées d'amis venus passer une belle après-midi ensemble, regards croisés, premiers désirs de jeunes gens et jeunes filles, et soudain je me dis: là voilà, la différence fondamentale entre l'Orient et l'Occident, aujourd'hui.

Car dans le monde arabe, traditionnellement, une telle représentation serait impossible. Dans les milieux populaires, majoritaires, un homme et une femme ne sont pas autorisés à danser ensemble, à rapprocher leurs corps en public, à se tenir la main, à s'embrasser, même sur la joue. En Orient, le couple n'existe pas. Et ce que nous montre Renoir, c'est le couple, ce sont des dizaines de couples réunis pour une après-midi, gens mariés, couples en formation, couples rêvés.

Bien sûr les choses changent, notamment dans les couches urbaines éduquées, couples d'artistes, de scientifiques, de créateurs, de sportifs, partenaires totalement, couples aussi de pères et de mères de famille amoureux, comme dans le beau récit autobiographique de la jeune romancière marocaine Soumya Zahy* .

Et en Europe non plus jadis l'amour au grand jour entre un homme et une femme ne pouvait librement s'exprimer, les peintres devaient user de paraboles, Vénus et Mars en chair en os et à poil, tout au plus osait-on montrer de frustes paysans danser des bacchanales, comme chez Bruegel, mais donner à voir un vrai couple, qui s'aime – car il faut s'aimer pour désirer se faire tirer le portrait ensemble, comme nous le faisons en photo aujourd'hui - il aura fallu la Renaissance, Van Eyck et ses époux Arnolfini. Et la modernité en Occident pour moi, comme pour certains historiens du quotidien, ce ne sont pas tant les machines l'industrialisation le progrès technique, que ce lent affranchissement des femmes vers plus de liberté, donc d'égalité, donc d'amour partagé, mon enfant ma sœur mon amour au grand jour** .

Et la preuve que le monde arabe et musulman sort de son Moyen-Age, et conquiert doucement sa modernité, je la vois dans tous ces nouveaux couples qui émergent, dans cette égalité homme-femme qui s'affirme doucement, dans un sentiment amoureux qui ose à nouveau s'exprimer au grand jour comme aux temps éclairés de l'Andalousie toute en poésie ou de la Perse en ses délicates miniatures, où la religion bien moins qu'aujourd'hui faisait peser ses interdits.

La modernité en marche dans le monde arabe, je la vois dans ces couples qui osent, comme on le voit désormais de Rabat à Damas, s'afficher amoureusement dans la rue, se tenant par le bras les épaules ou la main, même si la jeune fille ou jeune femme est voilée. Car leurs parents ou leurs grands-parents n'auraient pas pu le faire, ne pouvant afficher de dévotion publique qu'à Dieu seul.

Dans le monde arabe, les femmes sont en train de gagner leurs batailles pour l'égalité avec les hommes, ni en manifestant ni en revendiquant, mais par cet amour qu'elles osent afficher pour leur homme dans la rue, par cet amour qu'à son tour celui-ci ose leur exprimer en public, nouvelle égalité qu'elles sont en train de vivre, avec leur compagnon de vie, leur égal, leur frère.


* On ne rentrera peut-être plus jamais chez nous, Editions EDDIF/Paris Méditerranée, 2002
** Voir par exemple le superbe ouvrage de Florence Montreynaud, Aimer. Un siècle de liens amoureux, Editions du Chêne, 1997.

Retour abécédaire

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